thousand pictures of your smile (logan)

La journée est longue, et profondément emmerdante, elle s'étire encore et encore, sans sembler s'arrêter. Jace est occupé certes, mais remplir de la paperasse n'a rien de très stimulant, et il aurait pu sauter de joie lorsque le docteur Williams l'a envoyé s'occuper de ses visites post-opératoires. Du relationnel, chose dont il ne raffole guère, si dénué de tact qu'il est, mais au moins ça l'occupe, ça l'empêche de penser. Parce que Jace cogite, cogite beaucoup ces derniers temps. Quelque chose ne va pas, et il le sait. Il a mis du temps à saisir l'ampleur du problème, en grande partie parce que le problème est une adorable petite brune qui a su l'amadouer dès l'instant où il a posé les yeux sur elle. Jace n'est pas un type démonstratif, Jace a du mal à faire confiance, mais Logan a réussi l'exploit d'abattre sans effort toutes les défenses qu'il avait bâti autour de lui après San Francisco. Il n'a pas compris tout de suite que quelque chose a changé, ne s'est pas attardé plus que ça sur la tendresse qu'elle lui inspire à présent, parce que c'est Logan. Logan est l'une de ses plus proches amies (pour ne pas dire sa meilleure amie, ce qui serait mièvre et sentimental, deux choses qui répugnent et agacent Jace), alors bien sûr qu'il apprécie Logan. Seulement il semblerait qu'il soit question d'un peu plus que ça, et Jace n'est pas sûr de savoir comment gérer la nouvelle. Parce que Logan est une amie, une amie qu'il refuse de perdre, une amie qui n'a d'yeux que pour un homme que Jace méprise de plus en plus. Alors Jace s'occupe pour éviter d'y penser, saute sur le moindre patient, le moindre cas suffisamment complexe pour pousser momentanément Logan hors de son esprit. Seulement si elle ne parcourt pas les couloirs de l'hôpital en blouse, elle passe quasiment autant de temps que lui ici, et fatalement il finit par la croiser.

Il l'aperçoit du coin de l’œil, et sa concentration s'envole, quitte le formulaire de sortie de son dernier patient pour se focaliser sur la jeune femme. Jusque-là en pleine conversation avec une infirmière, Jace se tait, suit des yeux son amie. Elle ne l'évite pas, pas vraiment, mais il la sent s'éloigner un peu plus de jour en jour (peut-être qu'il devient légèrement paranoïaque, ou plutôt vaguement jaloux, qui sait). - Logan ! Il abandonne le patient, le formulaire et l'infirmière, se lance à sa poursuite. - Logan, attends. Hey, fait-il une fois à sa hauteur. Je te dérange ? Je t'ai vue passer et, mmh, j'ai l'impression que ça fait un moment qu'on ne s'est pas croisé. Il bredouille, il bégaye, il perd tous ses moyens, et il déteste ça. C'est pathétique, ça ne lui ressemble pas, et il baisse la tête, cherche à retrouver un semblant de constance en se raclant la gorge. - Tu es libre ce soir ? Ou en fin de journée, si tu as des plans pour la soirée. Il retient sa rancœur, prie pour ne pas avoir l'air d'un abruti injustement jaloux. Elle fait ce qu'elle veut de sa vie, il ne cherche pas à dire le contraire (mais presque).

Elle sourit et il en est là, planté comme un imbécile, à regarder ce sourire qui hante ses pensées sans son accord. Il ne voulait pas tomber amoureux, ne voulait plus tomber amoureux, ni d'elle ni de qui que ce soit d'autre. Après San Francisco et son histoire désastreuse, Jace s'est promis de ne plus se laisser avoir, de se concentrer sur sa carrière et sur sa carrière uniquement, mais Logan a débarqué dans son existence comme une fleur, sans se préoccuper de ses décisions et de ses promesses. Elle s'est installée dans son quotidien, doucement mais sûrement, lui a fait oublié ses doutes et ses objectifs sans le vouloir. Il en est là, à rechercher son sourire tout en sachant qu'elle pense à un autre. Et ça fait mal, bien plus qu'il ne veut l'admettre, bien plus qu'il n'aimerait l'admettre. Le ressentiment est là lui aussi, intrus connu d'un autre nom. La jalousie mais ça non plus, Jace n'est pas prêt à le reconnaître, pas prêt à avouer qu'il est tombé amoureux de son amie la plus proche. Il baisse les yeux, honteux, tandis qu'elle s'excuse de ne plus lui accorder autant de temps qu'avant. Elle n'a pas à s'excuser, elle ne lui doit rien, mais c'est de Logan dont il s'agit, alors bien sûr qu'elle s'excuse. Peut-être qu'elle n'en pense pas un mot, peut-être qu'elle n'est pas du tout désolée de le laisser de côté, mais elle s'excuse tout de même, parce que c'est dans sa nature. Jace sourit, un peu amer, hausse les sourcils sans la regarder. Il sait qu'elle a bien d'autres choses à faire (voir l'autre type par exemple) mais il n'en dit rien, ça ne le regarde pas. Elle semble heureuse de sa proposition, se précipite pour accepter, un peu trop vite peut-être pour que ça semble naturel, et il relève la tête, l'observe un instant. Fait-elle ça par envie ou par culpabilité, il ne saurait le dire, mais il s'en réjouit. Il en est là, à attraper chaque parcelle de son temps qu'elle veut bien lui offrir. - Il y a un petit italien au coin de ma rue, très simple mais la cuisine est merveilleuse. Si ça te tente. Ça ne devrait pas avoir tant l'air d'un rendez-vous, pas dans sa tête en tout cas. Ca n'est qu'une invitation entre amis, n'est-ce pas ? Mais il se rattrape, bien vite. - Ou on peut juste aller boire un verre dans le coin, si tu es trop occupée. Les reproches encore, subtils mais bien présents. Il s'en veut clairement, sent ses joues qui rougissent sous la culpabilité. Tant pis. Il a passé l'âge de faire semblant.