✄ The whirlwind of my life. Franchement, des fois tu regardes ta vie et tu la trouve tellement merdique que tu te dis que quelqu'un l'a écrite pour toi. Mais le reste du temps, tu penses que ça aurait pu être pire.
Déjà, on commence par un combo gagnant. Mère de 16 ans mise en cloque par le membre d'un gang de la banlieue pourrie de Baltimore, gosse paumée d’immigrés, sans doute un peu trop droguée pour savoir ce qu'elle fait, pond une paire de jumeaux sans passer par la case hôpital. Et comme elle est pas capable de s'en occuper, elle les laisse dans un squat avec juste des petites gourmettes. Merci maman. Bon, elle s'est fait chopper trois heures après l'abandon, mais les services sociaux avaient pas l'air de vouloir lui laisser votre garde, à ton frère et toi. Logique. Pas con. Peut-être la seule bonne idée qu'ils aient eue. Avec le fait de vous laisser ensemble, bien entendu.
Alors vous avez joués aux colis. De famille d’accueil en famille d’accueil, que des gens presque aussi pauvres que vous, qui faisaient ça juste pour le bonus argent filé par l'état. Et ouais, faut pas croire ce que racontent les séries, 90% du temps c'est comme ça. Ou alors vous avez eu la poisse, faut voire.
Forcément vous avez mal tourné, vous aviez ça dans les gênes après tout. Du coup bah, les rares fois où vous tombiez sur de gentilles familles, vous les poussiez tellement à bout que plus personne ne voulait de vous.
Et puis les services sociaux ont finalement eu cette idée géniale. Celle de vous séparer, ton frère et toi. De te prendre la seule personne qui comptait vraiment pour toi et de l'envoyer ailleurs. Forcément, ça s'est pas bien passé.
Vous aviez 17 ans, vous étiez déjà tombés dans les vices des paumés, peu importe comment vous pouviez les faire arriver dans vos corps. Et te voilà dans une petite maison cossue près de Washington alors que lui est bien trop près des gangs à ton goût.
Le seul bon point de ta "nouvelle maison", c'est l'autre gosse valise de la baraque, vous avez le même âge, elle est tout aussi dérangée que toi, mais elle essaye de le cacher en se piquant sur les mollets et pas les bras.
Ils ont beau vous avoir séparés, ça vous empêche pas de communiquer. Et vous avez un plan. Vous finissez à trois (car t'as embarqué ta nouvelle pote) dans un squat tout naze pas loin de New York. La fugue, c'est facile quand on sait y faire.
Avec d'autres junkies, vous passez un, deux, trois mois là-bas peut-être, tu sais plus trop, t'étais trop sonné.e par l'alcool, la drogue et les autres échanges qui se passaient pour compter les jours.
Puis y'a eu un trou. Et c'est à l’hôpital que t'as revu la lumière.
Tu sais pas combien de temps t'es resté.e dans le coltard, mais ton corps lui, il savait que t'avais merdé. Tes reins t'avaient dit fuck, révélant au passage un cadeau génétique surprise des deux personnes que tu pouvais pas vraiment appeler parents. Des kystes aux reins. Pleins. Partout. Tout le temps. On pouvait les enlever, mais ils reviendraient. Te voilà avec des cailloux dans le corps, pour le reste de ta vie. En plus, comme t'es classé.e à risque à cause de tes conneries, t'es loin, très loin dans la liste de ceux qui peuvent recevoir les organes d'un mort. Ton frère dans l'histoire ? Il a pas cette merde. Alors, il pourrait te refiler un rein non ? Même pas. Quand l'hosto a envisagé cette solution, ils ont fait des tests. Et paf, lui il a eu un autre cadeau. Le Sida. Aucune idée de quand ou comment il l'a choppé, mais vous voilà avec deux épées de Damoclès au dessus de vos têtes. Bien joué, ça valait le coup de vivre sa jeunesse à fond non ?
En plus, les services sociaux, ils veulent plus de vous, trop vieux, trop chiants.
On vous refile à une assos', vous avez presque 18 ans, et enfin, vous décidez de reconstruire vos vies. Enfin, de les construire tout court. Moins de conneries ça n'empêche pas de vivre, vous le découvrez enfin.
Un an plus tard, alors que t'as commencé un apprentissage chez un tatoueur, réalisant un rêve que tu savais même pas que t'avais, tu as retrouvé ta pote. Elle aussi elle avait tout perdu. Et avec ça, une jambe. Piqure mal faite, infection, gangrène, amputation. Vous avez pas l'air cons, le trio gagnant là. Mais maintenant, les années ont passées. Vous trainez toujours ensemble, mais plus responsables. On va pas dire adultes car on veut pas vous insulter, mais vous y êtes presque. Après tout, vous avez vécu plus qu'il ne le fallait avant même d'avoir l'âge légal de plus de la moitié des choses dans ce pays. Après avoir subit le temps, il est venu celui de le prendre. Et de réaliser vos envies, les vraies, cette fois-ci. Et c'est ce que vous faites.
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— Depuis combien de temps vivez-vous à New York ? Depuis tes 17 ans, plus ou moins. C'était un peu le bordel au début, mais maintenant, c'est devenu chez toi. Dire que la ville t'a offert ta vie telle qu'elle est désormais, c'est peut-être un peu gros, mais c'est pas si loin de la vérité.
— Comment imaginez-vous votre futur ? En train de traverser les USA en bagnole. Road trip qui ne terminera jamais, s'étendra au monde. Mais quand on a des dialyses à faire et qu'on passe trop régulièrement sur le billard à son goût, bah c'est pas faisable. Du coup un futur, t'en a pas vraiment. Tu as toujours vécu au présent, et c'est peut-être quelque chose qu'on t'enlèvera jamais.